Macron bradera-t-il l'industrie et la France ?
FIGARO ECONOMIE Par Francis Journot Publié le 07/07/2017
Le Figaro/Tribune - Pour Francis Journot, le nouveau pouvoir en place n'a pas de véritable ambition industrielle et « l'élection d'Emmanuel Macron peut faire craindre le pire » pour l'industrie française.
Le sens de l'État et de l'intérêt général semble de moins en moins peser dans les choix politiques. Notre pays est depuis quatre décennies, progressivement privé de ses prérogatives et dépossédé d'intérêts stratégiques mais l'élection d'Emmanuel Macron peut faire craindre le pire.
Une absence de vision et d’ambition industrielle
Pendant la campagne présidentielle, Emmanuel Macron s’est peu exprimé à propos de stratégie industrielle. Aussi faut-il se référer à la période durant laquelle il occupait successivement les postes de Secrétaire général adjoint à l’Elysée et de ministre de l’Economie et de l’Industrie. Mandaté par le gouvernement, le cabinet américain McKinsey élaborait 34 plans industriels. Le programme mutait ensuite vers 10 solutions de la nouvelle France industrielle, puis l’Usine du Futur et enfin l’industrie du Futur que des start-up pourraient générer. Néanmoins, on peut penser que ces plans industriels sans lendemain, faiblement financés mais annoncés à grand renfort médiatique, étaient surtout destinés à entretenir l’illusion d’une volonté industrielle.
Les dirigeants n’ont probablement pas attendu les recommandations de l’ancien inspecteur des Finances pour envisager de moderniser leurs usines mais en suggérant un manque d’anticipation des entreprises, la responsabilité gouvernementale en matière de désindustrialisation était ainsi atténuée. Il n’est pas certain que l’homme pressé ait réellement appréhendé la complexité et le temps long du développement industriel ou les conséquences de la disparition de géants technologiques parfois centenaires.
Dans une tribune publiée en septembre 2011 dans "Marianne", nous interrogions, " Le PS veut-il vraiment réindustrialiser la France ? ". Mais au lendemain de l’élection de François Hollande, le profil des plus proches conseillers dont celui du poulain de Jacques Attali, ne nous permettait plus d’espérer raisonnablement une politique de réindustrialisation même si la nomination d’Arnaud Montebourg au ministère de l’Economie, pouvait donner le change. On observe dans le nouveau gouvernement, l’absence de ministère ou de secrétariat d’Etat dédié à l’industrie et on peut subodorer que cette dernière sera souvent oubliée.
Industries du futur contre industries d’hier ?
Le pragmatisme doit primer et Il ne semble guère pertinent d’opposer une industrie du futur certes plus compétitive mais qui ne crée que peu d’emploi, à des activités susceptibles de procurer du travail à une abondante main d’œuvre souvent peu diplômée et peu qualifiée dont le nombre croissant et le ressentiment de plus en plus difficile à contenir, aggraveront les désordres économiques. Il convient de chercher un équilibre dans un marché du travail devenant bipolaire.
La dédaigneuse et récurrente assertion selon laquelle nous devrions considérer les industries manufacturières des biens de consommation comme dépassées, est significative d’une volonté manifeste de condamner celles-ci à la disparition. Dès le début des années soixante-dix, le discours politique conseillait un abandon de la production de nos biens de consommation aux pays émergents et promettait déjà une nouvelle France industrielle. Puis la politique industrielle préconisée au début des années 2000 par le PDG d’Alcatel Serge Tchuruk faisait également école. Le dirigeant du numéro un mondial de la fibre optique et géant des télécom avec 130 sites industriels et 150 000 salariés, avait déclaré "Alcatel doit devenir une entreprise sans usine". 30 usines et 58 000 salariés étaient rescapés du naufrage industriel.
D’autres groupes industriels choisissaient aussi de confier leur production à des sous-traitants de pays à bas coûts au lieu de continuer à investir dans leurs usines. La France compte maintenant cinq fois moins de robots industriels que l’Allemagne et deux fois moins que l’Italie. Certes, les PME et ETI de l’industrie souhaitent rénover leurs installations mais les banques rechignent à financer des investissements lourds de sous-traitants qui ne peuvent garantir que les donneurs d’ordres rempliront les carnets de commandes. En 2008, les Etats généraux de l’industrie ont exclu des secteurs entiers de l’industrie manufacturière des biens de consommation dont les métiers disparaissent désormais, faute de financements publics et privés.
L’idéologie a remplacé la stratégie industrielle et la politique adoptée ne s’appuie guère sur un fondement économique sérieux. L’économie d’un pays qui ne produit plus repose sur des sables mouvants. Le secteur des services n’échappe pas non plus aux délocalisations et les startups créées ne comblent guère le déficit de croissance et d’emploi. En témoignent maintenant, le déséquilibre de notre balance commerciale, le poids croissant de l’impôt et de cotisations pesant sur un nombre de plus en plus restreint de salariés et d’entreprises qui subséquemment, sont de moins en moins compétitives, le coût d’un chômage qui plombe toute l’économie puis l’augmentation des déficits et de la dette. Le dogme du libre-échange dérégulé, invoque souvent un manque de compétitivité cependant pas toujours avéré et occulte les coûts cachés.
Il serait pourtant tout à fait possible, en usant des mécanismes de mutualisation et de péréquation que nous préconisons, de produire à nouveau en France, une part plus importante de nos biens de consommation.
Pour juguler l’hémorragie, il faut d’abord une volonté politique
Une volonté politique de protéger les entreprises françaises existantes de l’assaut de fonds prédateurs ou de groupes hostiles, est indispensable. Certes, depuis le traité de Maastricht, les restrictions relatives aux mouvements de capitaux entre états membres ou pays tiers sont interdites mais nous pourrions pourtant dans certains cas, parvenir à protéger nos entreprises ainsi qu’Arnaud Montebourg avait tenté de le faire avec le décret de mai 2014 protégeant les intérêts stratégiques.
Autre exemple, le démantèlement de l’empire Taittinger depuis son acquisition en 2005 par le fonds d’investissement américain Starwood. La famille Taittinger avait été contrainte à la vente de ses biens pour s’acquitter de l’ISF. Elle avait finalement empoché 428 millions d’euros avant impôts mais la vente par appartement aura rapporté 7 à 8 fois plus à Starwood. La cristallerie Baccarat créée sous Louis XV qui est passée sous pavillon chinois moins de trois semaines après l’investiture d’Emmanuel Macron, pourrait symboliser la politique gouvernementale passée et à venir. La vente du célèbre cristallier au fonds chinois Fortune fountain capital (FFC) clôture la liste qui comprenait déjà la marque de champagne éponyme et les parfums Annick Goutal mais aussi les palaces Le Martinez, Le Crillon, Le Palais de la Méditerranée, les cinq étoiles Concorde, l’Hôtel du Louvres et Le Lutetia, vendus pour la plupart à des investisseurs Qataris. Les 1120 hôtels du groupe Louvres Hôtels (enseignes Première Classe, Kyriad, Campanile, Tulip in, Golden et Royal) ont été cédés en mars 2015 au fonds chinois Jin Jiang, propriété de la municipalité de Shanghai, avec la bénédiction des ministres Laurent Fabius et Emmanuel Macron. Encouragé par ce succès, le fonds de Shanghai veut maintenant mettre la main sur le premier groupe hôtelier français Accor qui compte 4 100 hôtels et 240 000 collaborateurs.
Les industries high-tech ne sont pas davantage à l’abri de la vente ou de la délocalisation de leur activité. Lors de son passage à Bercy, Emmanuel Macron a également favorisé la vente du stratégique pôle énergie du fleuron industriel Alstom (65 000 salariés) à l’américain General Electric (GE), celle du leader mondial des télécoms et réseaux Alcatel-Lucent (62 000 salariés) au norvégien Nokia et la fusion du spécialiste de l’ingénierie pétrolière et gazière Technip (37 500 salariés) avec le texan FMC et le déménagement du siège à Londres.
Ces fautes stratégiques majeures apparaissent d’autant plus incompréhensibles que nous évoluons dans un climat de guerre économique mondiale particulièrement prédatrice envers l’industrie française et que nous avons déjà subi la perte de nombreux poids lourds de l’économie.
Plan d’austérité, blocage du pays puis braderie des biens de l’Etat, l’histoire pourrait se répéter
Le président Macron a promis à la chancelière Merkel de rester en dessous du plafond de 3 % de déficit budgétaire et d’appliquer les mesures d’austérité conformes aux grandes orientations de politique européenne (GOPE). Mais l’histoire se répétera-elle ? Le premier ministre Edouard Philippe sera-t-il bientôt confronté à des difficultés semblables à celles rencontrées par son mentor politique Alain Juppé, autrefois premier ministre sous la présidence de Jacques Chirac ?
En septembre 1995, le chef du gouvernement s’engageait auprès de Bruxelles à ramener en 2 ans le déficit public à 3 % du PIB mais en décembre près de 2 millions de français descendaient dans la rue pour protester contre son plan d’austérité. Afin de respecter la limite de déficit imposée par le traité de Maastricht, Il vendait des entreprises industrielles pour renflouer les caisses. Mais la privatisation du joyau Pechiney (aluminium) ne rapportait que 3,8 Mds de francs à l’État. Usinor-Sacilor n’était vendu que 10 Mds alors que le développement et les sauvetages successifs de la sidérurgie avaient couté plus de 100 Mds de francs aux contribuables français. Puis la première compagnie maritime française (CGM) était cédée pour seulement 20 millions après que l’Etat ait injecté 1,2 Md. Alain Juppé tentait en vain, la même année, de vendre au Sud-Coréen Daewoo, pour 1 franc symbolique, le fleuron technologique national Thomson après une recapitalisation de l’Etat à hauteur de 11 Mds de francs.
Gestion budgétaire à la petite semaine
La dette publique de la France s’élève à 2 200 Mds auxquels il faut rajouter les engagements hors bilan de l’Etat dont le montant dépasse 3 000 Mds d’euros. Selon une communication de la Cour des comptes au Sénat, fin 2012 un engagement de 1679 Mds concernait les pensions de retraite des fonctionnaires, personnels des armées et agents de la poste et 1 400 Mds relevaient de garanties financières à destination d’acteurs économiques. Par ailleurs, le paiement des intérêts de la dette (charge de la dette) qui avoisine 50 Mds d’euros depuis quelques années, constitue souvent le premier ou deuxième poste de dépenses de l’État. Lorsque l’on ajoute un remboursement annuel moyen de capital de 100 Mds, les annuités (service de la dette) atteignent 150 Mds d’euros soit l’équivalent de la totalité de la dotation annuelle de l’éducation, défense, santé, emploi, justice, etc.
La vente de participations de l’Etat dans les entreprises, ne désendetterait pas notre pays de façon significative, n’assurerait guère la sauvegarde de notre modèle social et ne nous exonérait pas non plus de l’austérité. Seul un changement de paradigme économique incluant une relance massive de la production de biens en France, nous permettrait de renouer avec une vraie croissance susceptible de faire reculer le chômage, le déficit public et la dette.
Mais le rythme des cessions de biens publics ne ralentit pas. La loi Macron d’aout 2015 a permis la privatisation de plusieurs aéroports. Ainsi l’Etat français a cédé au consortium chinois Casil, 49.9 % du capital de l’aéroport Toulouse - Blagnac (ATB) pour un montant de 308 millions d’euros. Désormais, conformément au pacte d’actionnaires, le conglomérat chinois contrôle le quatrième aéroport régional français dont il est maintenant accusé d’en piller les réserves et de préparer l’éviction des autres actionnaires. La privatisation des aéroports de Lyon et Nice a rapporté 1.76 Md d’euros et l’Etat a encore récolté 738 millions d’euros lors de la vente de 9.5 % des parts des Aéroports de Paris (ADP) puis à la fin de l’an dernier, Bercy avait même envisagé la cession de la moitié des 51 % encore détenus.
Après la dilapidation d’une part importante de notre patrimoine au cours des dernières années, on peut redouter que l’ancien banquier d’affaires ne vende au gré des sollicitations de la Commission européenne et à tour de bras, d’autres biens de la collectivité dont une majeure partie des 100 Mds d’euros de participations de l’état dans des entreprises parfois stratégiques, toujours plus d’immobilier, notre réserve d’or et peut être à l’instar de la Grèce, des ports maritimes, des forêts ou des sites culturels et historiques.
Francis Journot tient le site Collectivité nationale.