Un salaire minimum mondial
pour réduire les inégalités
Tribune de Francis JOURNOT publiée sur Marianne le 16 mars 2020
Afin de réduire les inégalités, le collectif «Patriotic Millionaires » propose une taxation des plus riches qui toutefois ne semble pas faire l'unanimité. Un projet de salaire minimum mondial raisonnable et intégrant les réalités économiques, pourrait-il convaincre davantage ?
Dans une lettre intitulée Millionnaires against pitchforks signée à Davos par 121 personnalités, le collectif « Patriotic Millionaires » exhorte ses amis millionnaires et milliardaires du monde entier, à exiger des impôts plus élevés et plus équitables afin de réduire des « inégalités extrêmes et déstabilisatrices ». L’initiative est généreuse mais il est peu certain que celle-ci permette seule de faire diminuer significativement la pauvreté et les effets négatifs de la production low-cost sur l’environnement. Par ailleurs, les appels à la responsabilisation, fussent-ils les plus sincères, sont rarement écoutés. Aussi devrions-nous tenter une autre approche pour atteindre ce but car la philanthropie recommandée est évidemment louable mais les travailleurs pauvres souhaitent pour leur part surtout un peu plus d’équité dans la rémunération de leur labeur.
Le projet International Convention for a Global Minimum Wage, né en 2013 et publié alors sur Marianne, pourrait apporter des solutions. Raisonnable et évolutif, il prône le pragmatisme et préconise de réintroduire des équilibres en amont des mécanismes économiques. Celui-ci pourrait constituer aujourd’hui, l’unique voie pour, à la fois, réduire les inégalités dans le monde et les ravages de la surconsommation sur l’environnement. Ce salaire minimum mondial qui comporterait plusieurs niveaux pour la prise en compte des disparités économiques, pourrait être mis en œuvre dans la plupart des pays en moins de 7 ou 8 ans.
Premières tentatives
Au lendemain de la première guerre mondiale, le salaire minimum mondial s’est érigé en priorité et fut l’un des premiers chantiers de l’OIT créée en 1919 sous l’égide du Traité de Versailles. Des chercheurs ont très certainement rapidement identifié les pistes évidentes de prime abord, d’un salaire minimum mondial basé sur une proportion du salaire ou du revenu médian de chaque pays (50 ou 60 % souvent cités) et du minimum vital (Living Wage) plus ou moins proche. Mais on peut penser que les économistes de l’OIT ont pris conscience de certains risques avant la convention de 1928. En effet, la prise en compte d’un salaire médian, élevé ou faible, dans le calcul d’un salaire minimum local, ne garantit pas qu’un Etat puisse être ensuite en capacité de faire face dans certains cas, à une augmentation de rémunération de ses fonctionnaires ou que le taux d’inflation que pourrait provoquer une généralisation du salaire minimum soit contenu et n’aggrave guère des situations de pauvreté. Le danger de générer des troubles et la faillite de certains Etats, a certainement tempéré les velléités de progrès social et incité à la prudence. Aussi la Convention concernant l'institution de méthodes de fixation des salaires minima, laissait champ libre aux États signataires: “Chaque Membre qui ratifie la présente convention a la liberté de déterminer les méthodes de fixation des salaires minima ainsi que les modalités de leur application“. 99 pays ont ratifié une convention qui n’a pas empêché les inégalités de croître. Le salaire minimum mondial n’a jamais vu le jour et sommeille depuis.
Echec du salaire minimum européen
L’idée d’un salaire minimum européen n’a pas été spécifiquement théorisée pour l’Union européenne par quelque émérite chercheur ou par un groupe d’élus, mais s’est simplement inspirée des travaux de l’OIT. Ce projet politique a fait son apparition au cours des années 90 afin de valoriser l’Europe sociale chère à ses pères fondateurs mais se heurte depuis aux disparités structurelles des 27 pays de l’Union européenne. On peut néanmoins comprendre que les gouvernements des pays européens à plus bas coûts, à l’instar de leurs concurrents plus lointains, hésitent à augmenter les salaires et à s’exposer ainsi à une diminution de leur avantage compétitif. Aussi, est-il indispensable, dans le contexte de mondialisation, d’inclure cette problématique dans un processus plus large de salaire minimum mondial.
Un concept structuré de salaire minimum mondial s’appuyant sur des ressources financières concrètes
Afin de convaincre les pays concernés, il conviendrait de proposer un projet clair, réaliste et économiquement structurant. Si l’on considère que la question du financement du salaire minimum mondial demeure pour les Etats l’un des principaux points d’achoppement, il faut nous résoudre à intervenir uniquement sur les salaires susceptibles de bénéficier de ressources le permettant soit d’abord ceux des travailleurs produisant des articles destinés à l’exportation. Pour exemple, une augmentation différenciée, progressive et programmée sur plusieurs années de salaires mensuels actuellement de 25 € en Ethiopie, 90 € au Bangladesh, 170 € au Vietnam ou 300 € en Bulgarie, n’impacterait le prix de vêtements vendus le plus souvent aux consommateurs européens ou américains, que de quelques dizaines de cents voire de quelques euros sur des pièces plus chères. Un calendrier s’appuyant sur des analyses complètes, préparerait les conditions qui permettraient ensuite la signature d’accords internationaux. L’UE et des institutions internationales pourraient partager leurs données ou collaborer plus largement à partir d’une méthodologie commune. Des partenariats avec des départements de recherche d’universités prestigieuses pourraient également permettre d’enrichir ces contenus. Le positionnement du curseur sur des objectifs de salaires minimums qui pourraient apparaitre peu ambitieux mais que peu de pays pourraient par conséquent refuser, ne serait certes pas de nature à changer instantanément les conditions de vie des 300 millions de travailleurs pauvres qui vivent avec moins de 1.7 euro par jour (source OIT) ou de ceux qui reçoivent à peine plus. En revanche, cette augmentation de rémunération qui toutefois, ne concernerait d’abord qu’une part des secteurs d’activité et des populations, sécuriserait cette mutation et permettrait surtout de mettre enfin sur les rails, un projet de salaire minimum mondial qui devrait compter 5 à 7 niveaux de compatibilité.
Un projet non idéologique
Inégalités et « living wage » font partie des luttes ou sont des thèmes de prédilection d’ONG qui reçoivent chaque année une manne financière de plusieurs dizaines de milliards d’euros. Mais les actions locales ne peuvent que très partiellement résoudre ces problématiques car l’économie mondialisée nous impose d’abord de réfléchir à une autre échelle. Les sujets du salaire minimum mondial et des inégalités sont hélas le plus souvent exploités à des fins politiques, idéologiques ou pécuniaires. Ils constituent pour des medias anglo-saxons ou français des contenus tendant à témoigner de leur humanité voire de leur engagement. Mais la publication contre-productive de propositions idéologiques et peu réalistes dont parfois le manichéisme n’a rien à envier au communisme, fournit des arguments aux détracteurs de cette cause ainsi décrédibilisée et immobilisée. Ces leaders d’opinions dont on peut regretter la légèreté en ce domaine, desservent finalement ceux qu’ils prétendent défendre.
Apres 7 ans ou 10 si l’on compte les travaux connexes précédents, le projet International Convention for a Global Minimum Wager, remarqué dès 2013 par des universitaires américains, bénéficie maintenant d’un réseau mondial de près de 7 000 experts pour la plupart vraisemblablement favorables au projet ou au moins à une réflexion sur les propositions émises. Ils sont majoritairement titulaires d’un doctorat d’économie ou de finance et plusieurs centaines d’entre eux souhaitent participer aux études. On trouve parmi ceux-ci, bon nombre de chercheurs et professeurs qui enseignent dans des universités américaines de l’Ivy League (Harvard, Yale, Columbia, Cornell…) ou à Stanford, Berkeley, au MIT et dans d’autres écoles prestigieuses à travers le monde mais aussi près de deux mille économistes travaillant dans des institutions internationales telles que l’ONU, l’OMC, la Banque Mondiale, le FMI, le Forum Economique Mondial ou l’OIT ainsi que des dirigeants et financiers de grandes entreprises, banques ou fonds d’investissement qui savent comme nous tous que l’accroissement des inégalités peut être dangereux.
Une offre de salaire minimum difficilement refusable
Alors quel dirigeant de pays à bas coûts, intra ou extra européen, pourrait s’opposer publiquement à une convention offrant l’opportunité à ses concitoyens travaillant pour l’exportation vers les grands marchés de la consommation principalement occidentaux, de bénéficier graduellement de meilleures rémunérations et conditions de vie qui mécaniquement, s’étendraient au fil des années à l’ensemble des travailleurs et profiteraient ensuite à la population entière sans pour autant affecter sensiblement la compétitivité si les augmentations sont alors coordonnées à l’échelle mondiale. Compte tenu du caractère sectoriel, celles-ci ne feraient pas bondir l’inflation. Le pacte ne contraindrait pas non plus les gouvernements à augmenter leur dépense publique puisque le projet ne repose pas sur une utopique et soudaine majoration générale des salaires. Les ressources de l’environnement et l’habitat naturel seraient moins sollicités. Une génération tentée par l’immigration découvrirait de nouvelles opportunités et choisirait parfois de participer à l’expansion locale. La surnatalité aggrave l’insécurité alimentaire qui touche aujourd’hui près d’un milliard de personnes dans le monde. Aussi, les mesures favoriseraient souvent l'éducation des enfants, l'émancipation de femmes et à terme, une réduction de la natalité et de la pauvreté. Ainsi que les signataires de la lettre Millionnaires against pitchforks préviennent : « il faut agir avant qu’il ne soit trop tard ».
Francis JOURNOT est l’initiateur du projet International Convention for a Global Minimum Wage