Nouvelles villes chinoises en France : deux ans plus tard, où en est leur implantation ?
Par Francis Journot publié le 9 aoùt 2016
Dans une tribune parue en octobre 2014 dans "Marianne", Francis Journot tirait la sonnette d’alarme à propos de projets d’implantation de milliers d’entreprises chinoises au sein des mégazones EuroSity à Châteauroux, dans l'Indre, et TerraLorraine en Moselle. Qu’en est-il deux ans plus tard ?
Châteauroux, bientôt premier entrepôt européen du "made in China" ?
Les dernières autorisations d’installation d’une plateforme logistique de 120 000 m2 au cœur de la communauté d’agglomérations de Châteauroux, sont attendues cet été. La base logistique pourrait voir le jour avant la fin de l’année. Elle serait érigée au sein d’une surface totale de 4.4 millions de mètres carrés, située à Ozans et principalement dédiée à l’importation de produits «made in China» en Europe. Une ligne directe Chine-Châteauroux desservirait l’ancien aéroport de l’OTAN implanté dans la zone.
Nous avions, lors de la rédaction de l’article en 2014, mis en garde les acteurs publics contre le danger de ce projet habillé pour faire bonne figure. La promesse d’investissement en 2012 de 400 millions d’euros avait déjà été divisée par deux en deux ans. Depuis le projet a été amputé et les Chinois n’apporteront pas les 200 millions qu’ils avaient promis en juin 2014. En effet, il apparait aujourd’hui, que les improbables usines et leurs emplois industriels ne verront pas le jour et que la transformation du Château d’Ozans en hôtel 4 étoiles est oubliée. Le projet de nouvelle université qui devait abriter 6 000 à 8 000 étudiants a été revu à la baisse. Les anciens bâtiments militaires de la Martinerie ont été réquisitionnés et seront décorés avec des éléments récupérés dans d’anciennes expositions. Ainsi, les 50 élèves chinois de la rentrée 2016 trouveront refuge dans cette école improvisée mais baptisée « Pôle d’enseignement supérieur international de la Martinenie ». Cependant, le centre d’innovation et de technologie (CITECH) de 3700 m2 est achevé et les plateaux sont en vente (2500 €/m2).
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Mais c’est la collectivité qui devra payer le plus lourd tribut. L’agglomération de Châteauroux a prévu d’investir 91 millions sur 15 ans en achat de terrains, voieries et rénovation. Le département de l’Indre devait mobiliser 15 millions d’euros pour les routes d’accès. Mais d’autres subventions pourraient s’ajouter dont celles concernant l’enseignement ou les R&D. Par ailleurs, les entreprises chinoises qui s’installeraient, bénéficieraient de nombreuses aides publiques dont jusqu’à 35 % d’aides à l’installationet de crédits d’impôt. Cependant, il est à craindre qu’une simple activité d’importation probablement robotisée et peu gourmande en emplois, ne génère pour les castelroussins que quelques dizaines ou peut-être 200 ou 300 postes de travail si l’on inclut les cadres et employés chinois. Mais celle-ci pourrait détruire à terme dans l’hexagone, plusieurs milliers ou dizaines de milliers d’emplois industriels, indirects et induits avec un coût final pour le contribuable français, qui pourrait atteindre chaque année, plusieurs milliards d’euros.
Selon un article du journal les Echos, publié en décembre 2014, la vente des terrains et bureaux devaient rapporter 2 milliards d’euros à la SFECZ, société foncière chinoise qui commercialise le projet EuroSity. Cependant, les entreprises chinoises ne semblent pas encore se bousculer. Le site de vente en ligne Ali Baba souvent montré du doigt pour sescontrefaçons pourrait s’y installer mais interrogé en janvier 2016 par des journalistes de la Nouvelle République, le maire (LR) de Châteauroux, Gil Avérous déclarait : « Je n'ai pas le nom des entreprises qui doivent s'y installer. Il y a des contacts avancés, j'en ai rencontré mais il n'y a pas d'implantations signées ». Mais peut-être est-t-il prématuré d’y voir un signe d’échec. Des centaines d’entreprises importatrices chinoises pourraient, lorsque la plateforme sera construite, affluer en quelques semaines.
Abandon du projet Terra Lorraine en Moselle
Le Pharaonique projet Terra Lorraine porté par le fonds d’investissement luxembourgeois Comex Holding, a été abandonné en décembre 2015. L’émergence du e-commerce et le repli du marché chinois étaient alors évoqués.
L’installation de 2 000 et à terme 20 000 entreprises chinoises qui auraient importé 500 puis 5 000 containers soit plus de 20 millions de tonnes de marchandises par an, aurait provoqué la disparition en France et en Europe, de milliers voire de dizaines de milliers d’ateliers et d’usines.
Le double jeu d'Arnaud Montebourg
Pourtant, lorsqu’il était ministre du redressement productif, Arnaud Montebourg s’était entretenu à ce sujet avec le dirigeant de Comex Holding Régis Passerieux. Cet avocat d’affaires, énarque et ancien maire (PS) d’Agde qui a marié le chantre du made in France en 1997, avait révélé en avril 2013 : «Bien sûr que je lui en ai parlé. Il m’a écouté attentivement et n’a semblé ne rien avoir contre. »
On aurait pu attendre du candidat à l’élection présidentielle de 2012 qui prônait la démondialisation, moins de bienveillance envers des projets mortifères pour l’industrie made in France. Nous ne pouvons désormais que partager le doute d’entrepreneurs et ouvriers de l’industrie qui le soupçonnent d’exploiter à leurs dépens, le thème du made in France, pour nourrir son ego et servir son ambition politique. Bien qu’il ait, durant son passage au ministère de l’Economie, surtout démontré son impuissance et collectionné les revers, l’amateur de coups médiatiques a malgré tout profité de sa surmédiatisation, pour associer le plus souvent son nom au patriotisme économique. Pour cela, il n’a pas hésité à dégrader sa fonction ministérielle en s’affichant en marinière ou en insultant ses interlocuteurs, forçant souvent le trait jusqu’à la caricature.
Mais les polémiques entretenues et les déclarations enflammées n’ont que brièvement ou jamais fait illusion. Il est peu certain que l’éventuel candidat à la primaire socialiste qui attend les idées des internautes pour abonder son «Projet France», soit doté d’une réelle vision économique. Celui-ci semble avoir cherché tout au long de sa carrière politique, l’axe de communication qui lui permettrait de se démarquer des autres élus du PS et le mènerait à l’Elysée. Aussi, bien qu’il soit maintenant permis, à la lumière de la déclaration de Régis Passerieux, de douter de la sincérité de son engagement pour l’industrie française, Arnaud Montebourg persiste à se raccrocher au slogan made in France dont il galvaude le sens jusqu’au ridicule. Mais on peut comprendre que l’ancien député de Saône et Loire ne soit pas prêt à prendre le risque de cesser d’exploiter ce filon médiatique sans lequel il ne représenterait plus rien.
Qui paiera la gabegie ?
Aucun des prétendus défenseurs du made in France ne s’est opposé à l’installation des megazones d’importation et nous avons alors dû combattre seuls les deux projetsEuroSity et Terra Lorraine, en révélant dans la presse ces scandales financiers, en interpellant le Président de la Cour des Comptes Didier Migaud ainsi que les présidents des chambres régionales des comptes (CRC) mais aussi en contactant le président de la Commission Européenne Jean Claude Juncker et près de 700 députés européens dont l’industrie manufacturière des pays respectifs aurait été menacée.
Aujourd’hui, nous sollicitons officiellement à nouveau Pierre Van Herzele, président de la CRC de la région Centre-Val de Loire afin qu’il diligente un contrôle jugeant de l’efficience des deniers publics dépensés dans le cadre du projet EuroSity et relève, en cas de faute de gestion ou d’imprudence, la part de responsabilité des décideurs et gestionnaires publics.
Mais si l’on pense que les engagements financiers chinois n’ont pas été tenus et que les élus locaux ont été abusés, peut-être convient-il aussi de réclamer à la SFECZ, filiale du fond souverain chinois Beijing Capital Group (BCG) dont le principal actionnaire est la ville de Pékin, le remboursement des sommes indûment dépensées par notre collectivité.
Francis Journot tient le site "Collectivité nationale". Il est membre fondateur du mouvement "Rendez nous notre industrie" et des associations "Vêtements made in France" et "International convention for minimum wage".